18 janvier 1997 - 26 octobre 1997
Iles en Ile-de-France, Iles en Val-de-Marne
Cette exposition présentée au musée a d'abord eu pour thème les îles en Ile-de-France (1997), puis a été recentrée sur les îles du Val-de-Marne à l'occasion d’un partenariat entre la Ville de Nogent et le Conseil général du Val-de-Marne (mai 2003)
île : du latin insula, terre entourée d’eau de toutes parts
Ile noire, île mystérieuse, île au trésor... invitation au voyage
Exotique, luxuriante et lointaine, telle est l’île, dans notre imaginaire, espace de liberté - ou de vide, c’est l’île déserte. Mais l’île, qui provoque nos désirs d’ailleurs, de soleil, de vacances, c’est aussi une réalité proche : notre département compte de nombreuses îles, toutes aussi mystérieuses et peut-être exotiques également. Voici une invitation à la découverte de ce patrimoine insulaire, de la richesse de son histoire, de sa faune et de sa flore
Le paysage des îles
Les cours d’eau transportent des matériaux appelés alluvions (sables, graviers, cailloux) qui se déposent derrière des petits obstacles au fond des rivières. Petit à petit, le dépôt augmente et une île émerge. D’autres îles pourront alors se former à l’aval de cette première, créant des contre-courants où la rivière pourra déposer ses matériaux. C’est ainsi que naissent les îles en chapelet. La Marne forme, en plein milieu urbain, une coulée particulière qui permet au regard de se porter au loin. Véritable couloir d’eau, la rivière vient s’élargir à l’approche des îles et confère au paysage une qualité particulière, accentuée par les plantations d’arbres.
L’évolution d’un site
Ces trois images montrent l’évolution du site de l’île du Moulin, vue depuis le coteau de Bry. En 1865, un espace encore rural se donne à voir. Au début du XXe siècle, l'urbanisation commence à s’approprier l’espace. La photo actuelle montre la persistance de la trouée verte portée par l’île.
Des îles et des moulins
Les bras de rivière formés par les îles sont particulièrement propices à l’aménagement de moulins. Au cours des siècles, de nombreux moulins se sont succédés, jusqu'aux constructions imposantes de l’ère industrielle. Pour forcer le courant dans les bras de la Marne, on barrait le grand lit de la rivière par des chaussées, qui constituaient autant d’obstacles, avant les écluses, pour la navigation. L’histoire des meuniers et des mariniers est ainsi pleine de conflits. L'île du Moulin, à Bry, l’île du Moulin brûlé à Maisons-Alfort, l‘île du Moulin bateau à Bonneuil rappellent ce temps. Si la plupart de ces moulins ont disparu, leur trace dans le paysage demeure : on voit encore, dans les îles, des maçonneries qui portaient les moulins. Et l’on a sauvé, à Saint-Maurice, deux bâtiments : le Moulin de la Chaussée et le Moulin Rouge.
Iles utiles
Les îles ont été exploitées par l’homme au cours des temps : on les cultivait et on les entretenait régulièrement. Le bois qu’elles procuraient pouvait être utilisé pour le chauffage ou pour fournir des tuteurs. Certaines îles ont même été aménagées en jardins. La corporation des maîtres -pêcheurs à engins tirait un grand parti des îles : dans les petits bras de rivière, on installait des gords, piquets de bois fichés dans le lit de la rivière, sur lesquels on fixait des verveux, nasses en osier. Les actes d’un procès qui opposa, au 18e siècle, un seigneur de Bry avec un de ses confrères de Nogent montrent que le petit bras de rivière qui sépare l’île des Loups de l’île du Moulin (Le Perreux/Bry) était exploité dès le 14e siècle sous le nom de “gord Saint-Antoine”. Les îles des Gords à Champigny rappellent ces usages, témoins d’une époque où le poisson avait une part importante dans l’alimentation.
Construire une pile de pont sur un terrain ferme est chose plus commode que dans le lit de la rivière. On ne s’étonnera donc pas que de nombreux ponts «profitent» des îles. L’ancien pont de bois à Champigny (1842) s’appuyait sur l'île de l’Abreuvoir et comprenait également la maison du gardien du pont. A cette époque, on payait pour franchir ces ponts.
Une flore et une faune étonnantes
Les observations scientifiques ont montré que les îles recèlaient parfois plus d’une centaine d’espèces végétales différentes et, parmi elles, une espèce protégée au plan régional, la cuscute d’Europe. D’autres espèces identifiées sont classées comme rares ou remarquables. Plus de 40 espèces d’oiseaux différents ont été observées. Certains, comme le martin-pêcheur d’Europe, nichent sur les îles. Les insectes profitent aussi de ces milieux privilégiés. Aux abords des îles, les zones peu profondes et chaudes sont favorables au développement d’alevins et de jeunes poissons, tel le brochet.
Des espèces se sont introduites et perturbent l’équilibre naturel du site. Les ragondins, par exemple, creusent et fragilisent les berges. Il ne faut pas les nourrir. Il ne faut pas non plus rejeter dans la Marne poissons rouges et tortues de Floride...
La Réserve Naturelle Départementale
Dès 1999, le Conseil général du Val-de-Marne s’est engagé pour la
préservation et la mise en valeur de ce patrimoine exceptionnel. Aujourd’hui, les îles des Gords et de Brétigny, l’île de l’Abreuvoir et l’île Pissevinaigre constituent une Réserve Naturelle Départementale. Elles bénéficient d’un plan de gestion visant à maintenir, voire augmenter la biodiversité. Un comité de gestion, piloté par le Conseil général, regroupe des associations œuvrant dans le domaine de l’environnement, des experts en écologie, des représentants de l’Etat et des communes concernées. Il fait procéder à des études scientifiques régulières sur la faune et la flore des îles, études qui portent également sur les îles de Brétigny.
La gestion de l’espace
Objectifs :
• sauvegarder l’intégrité écologique de l’espace
• conserver voire augmenter la diversité des espèces et des habitats
Moyens :
• interdire l’accès au public
• limiter l’usage de produits chimiques pour l’entretien
• nettoyer les berges après les crues
• laisser le bois mort sur place
• tailler les saules pour procurer de la lumière aux plantes rares
• abattre les arbres menaçants
• informer les publics
Un milieu complexe
La richesse écologique des îles se maintient grâce à la diversité et à la complémentarité des différents milieux. Chacune des îles possède sa propre personnalité : influence aquatique plus ou moins marquée, caractère forestier plus ou moins accentué. Cette variété est essentielle au fonctionnement de l’ensemble. Les espèces de plantes remarquables ont été notamment observées sur les parties inondables des îles. Chaque année, la crue vient recouvrir les îles et dépose sur les grèves un limon propice au développement de la flore. C’est donc la rivière par son alternance de hautes et basses eaux qui confère aux îles naturelles leur richesse écologique. Pour favoriser la biodiversité, plusieurs mesures sont prises : le bois mort des espèces indigènes est conservé sur place, car les oiseaux en utilisent les troncs pour leurs nids et il est propice au développement des insectes. Certains arbres sont taillés pour laisser passer la lumière et pour favoriser la croissance des plantes rares sur les berges.
Au nom des îles
Le nom des îles s’inspire quelquefois de la faune (martin-pêcheur, corbeaux, cormorans, loups), plus rarement de personnages (île Casenave, du nom d’un propriétaire local, les saints-pères de l’abbaye de Saint-Maur). Les noms renvoient à des notations pittoresques, dont l’étymologie est souvent oubliée : l’île Fanac suggère la fenaison, l’île Brise-Pain serait en fait Brise-Train (trains de bois flottés). C’est l’activité humaine qui apparaît fortement dans les dénominations : les moulins, les gords, l’abreuvoir. Vignerons et Pissevinaigre rappellent les traditions agricoles et sans doute le vin aigrelet produit localement sous le nom de guinguet. Activité humaine parfois étonnante : l’île des Ravageurs évoque la collecte d’objets échoués sur les berges...
Echanges et interprétation...
A Bry, la grande île s’appelle île du Moulin, la petite, île d’Amour. Dans la pratique, tout le monde inverse les deux noms : c’est parce qu’au début du siècle, le restaurateur qui s’est installé sur la grande île a trouvé plus judicieux de baptiser son établissement restaurant de l’île d’Amour plutôt que restaurant de l’île du Moulin. Les insulaires eux-mêmes proposent leur propre interprétation du nom de l’île. Le nom de l’île des Loups est attesté au XIVe siècle, mais sur l’île, on vous racontera qu’elle porte ce nom depuis que les soldats français de la guerre de 1870 avaient vu les loups qu’ils pourchassaient
se réfugier dans l’île...
L’île loisirs
Dans l’histoire, l’île est fréquemment associée au travail : pêche, moulin, agriculture. Certes on peut faire remonter l’usage ludique des îles à des temps anciens : les chroniques nous disent que l’on organisait des fêtes sur l’île de Beauté au XIVe siècle... Mais c’est au XIXe siècle que va s’affirmer la vocation ludique des îles. Sous le Second Empire, une colonie d’artistes dramatiques
s’installe sur les îles de Nogent et Joinville. De là naîtront des architectures pittoresques, souvent d’inspiration néo-normande qui confèrent au site un certain côté balnéaire. Guinguettes et sociétés nautiques suivront ce mouvement insulaire : c’est une tradition qui se poursuit de nos jours. Pour le plaisir des îles, des parcs sont aménagés, comme sur l’île des Ravageurs. On envisage aussi des espaces de découverte de la nature (projet de l’île des Loups).
Exotiques, luxuriantes et toutes proches, les îles de la Marne invitent à la promenade, incitent à la rêverie