Expositions universelles et coloniales

13 novembre 1999 - 29 février 2000

Expositions universelles et coloniales

Les expositions universelles, qui se différencient des expositions régionales, nationales ou spécialisées, trouvent leur origine dans les expositions industrielles du 18e siècle. C’est en 1798 que François de Neufchâteau, Ministre de l’Intérieur (et propriétaire du château du Perreux) organise en France la première manifestation de ce genre. Il s’agit, dès l’origine, de stimuler les industriels par la présentation des nouvelles découvertes, celles-ci faisant l’objet de récompenses afin de favoriser la concurrence. Onze expositions nationales sont présentées à Paris entre 1798 et 1849. 

Dès 1850, la production à grande échelle, la divinisation de la machine qui offrira, dit-on, le bonheur à l’humanité font apparaître la notion d’exposition universelle. Une exposition est universelle quand elle présente toutes les branches du savoir. Pour être universelle, une exposition doit aussi être internationale, c’est-à-dire concerner tous les pays. C’est à Londres, dans le fameux palais de Cristal qu’est organisée en 1851 la première exposition de ce type. 

Les expositions du XIXe siècle

Au XIXe siècle, il s’agit d’un pari fou : présenter toutes les réalisations humaines, destinées à tous les usages - aussi bien en récapitulant l’histoire du savoir qu’en présentant les dernières découvertes. Cette ambition se traduit par des nomenclatures d’une logique implacable. La machine utilisée tout à la fois pour l’artisanat et l’industrie est présentée à côté de l’objet réalisé. On découvrira l’histoire de l’habitat depuis la préhistoire, l’efficacité du dernier métier à tisser, les prodiges de la dynamo, les merveilles offertes par la fée électricité. Les préoccupations sociales se traduisent par des exposés relatifs aux retraites ouvrières ou à la prévention des accidents du travail. La géographie du monde entier est révélée par des foultitudes de reconstitutions.

En 1867, Le Play établit une classification, qui sera modifiée dès  1878. 10 groupes sont définis ; chacun de ces groupes se subdivise en classes qui précisent le propos. A titre d’exemple, le Ve groupe concerne l’industrie extractive et comporte la 40e classe mines et métallurgie, la 44e classe produits chimiques pharmaceutiques. Le Xe groupe développe l’amélioration de la condition physique et morale de la population et comporte la 89e classe enseignement des enfants, la 93e classe l’hygiène et le bien-être.

Le savoir étant en perpétuelle évolution, le plan se complique encore en 1900 et comporte 18 groupes et 120 classes - le 18e groupe concernant l’armée considérée comme garante de la paix. Un tel éclatement du savoir, exposé dans des bâtiments épars, dérouta le public. Aussi, les expositions universelles du XXe siècle, qui s’orientent davantage vers l’illustration de thèmes, abandonnent-t-elles l’idée d’un recensement encyclopédique de l’état des connaissance.

Le paysage parisien des expositions

Les expositions universelles, échelonnées de 1855 à 1937, ont modifié à plusieurs reprises le paysage parisien. L’aménagement des sites étant généralement provisoire, les innovations architecturales ont fait preuve d’une audace étonnante.

1855 : la première exposition universelle parisienne se tient aux Champs-Elysées. Un Palais de l’Industrie est construit en métal .  Pour exposer les beaux-arts - attention spécifiquement française - un bâtiment est édifié avenue Montaigne. 

1867 : en raison du succès croissant des expositions universelles, le vaste périmètre du Champ-de-Mars va désormais être investi. Un bâtiment ovoïde, comportant 7 galeries circulaires coupées par 16 allées est élevé, ainsi qu’une salle des machines.

1878 : sur le même emplacement, un nouveau bâtiment est construit, se présentant sous forme de damier, ce qui permet (comme en 1867) une double lecture des produits présentés, soit par genre, soit par nation. De l’autre côté de la Seine, Le Trocadéro, destiné à accueillir des spectacles est bâti, dans un style à la fois latin et oriental, mais sans utiliser le métal si caractéristique du Second Empire.

1889 : l’espace habituel s’agrandit par l’utilisation de l’esplanade des Invalides et du quai d’Orsay. Un palais principal, un palais des beaux-arts, une galerie des machines et, bien sûr, la Tour Eiffel sont édifiés.

1900 : l’exposition ne comporte pas de bâtiment central, mais trois réalisations anciennes sont conservées : le Palais du Trocadéro (1878), la tour Eiffel et la galerie des machines (1889). Le Grand et le Petit Palais sont élevés, à la place du Palais de l’industrie de 1855 aux Champs-Elysées, ainsi que le pont Alexandre III. 

Parallèlement à ces bâtiments d’envergure, des quartiers entiers se couvrent de pavillons extra-européens, où les styles les plus fous se côtoient, transformant Paris en une tour de Babel dont il reste ça et là des vestiges, notamment en banlieue.

Arts et spectacles dans l’exposition

Les beaux-arts occupent une section à part entière dans les expositions universelles françaises. Dans ce cas, le «Salon» (présentation annuelle d’œuvres d’art) n’a pas lieu et c’est lors des manifestations universelles que sont présentées des rétrospectives d’artistes français et - nouveauté - européens. Mais, comme pour le «Salon», l’Académie sélectionne les artistes. En 1855, Courbet est exclu de la manifestation officielle. En 1867, - quoique les expositions bénéficient  maintenant de jurys propres - c’est au tour de Manet ; en 1878, Millet, Daumier, Rodin et les impressionnistes sont victimes de la même incompréhension. 

En 1889, une exposition centennale des peintres français est organisée. En 1900, des expositions décennale et centennale sont réalisées au Grand palais et au Petit palais valorisant, cette fois, les impressionnistes. En 1889, l’art oriental, et principalement japonais, influence fortement les artistes français. La musique tzigane impressionne Satie. La musique russe, dont les concerts sont dirigés par Rimski-Korsakov et Glazounov, marquera la jeune école musicale française. Les arts décoratifs, c’est-à-dire utilitaires et industriels, - telles l’orfèvrerie, la verrerie destinée au confort domestique -  triomphent en 1889, notamment grâce à Emile Gallé. Cette fusion de l’art et de l’industrie connaîtra son apogée en 1925 et en 1937.

Dès 1889, spectacles et divertissements prennent une importance croissante. En 1900, l’exposition devient partiellement une fête foraine, symbolisée par la grande roue de 93 mètres de diamètre qui restera en place jusqu’en 1918 afin de la rentabiliser. Le cinéma est omniprésent, des films montrant les merveilles de la France sont diffusés sur des draps tendus. Les gadgets sont nombreux : palais des illusions, reconstitution du Transsibérien avec décor mobile... De même, feux d’artifice, illuminations de la Seine, bals, concours sportifs sont organisés.

Instruction et politique

Le premier objectif des expositions universelles est d’instruire les masses. Cette ambition émane de l’enthousiasme de la bourgeoisie industrielle qui estime que le progrès est facteur de bonheur. Le peuple a donc un rôle déterminant dans cette entreprise puisque, par le suffrage universel, il représente une force politique incontournable. Fait caractéristique : parallèlement aux lois de Jules Ferry sur l’enseignement, la notion d’éducation prend une part importante aux expositions universelles. L’éducation formera des citoyens utiles, ce qui garantit une justice sociale. Par ailleurs, toute exposition universelle, quel que soit le régime organisateur se place sous le signe de la paix.

Nationalisme 

A chaque exposition, une nation présente la conception qu’elle a d’elle-même. Le lien entre le national et l’universel est donc un leurre puisque tout est juxtaposition.

La France se présente comme le pays du raffinement et l’un des grands pays républicains : elle est le pays de l’art (d’où l’importance donnée aux pavillons des beaux-arts) et le chantre de la démocratie. Ainsi l’exposition de 1889 se justifie-t-elle par le centenaire  de la Révolution française... à la grande gêne des monarchies européennes. Les banquets des maires de France (1889 et 1900) restent le symbole d’une République affermie après les déboires des années 1870.

De même, l’Angleterre insiste sur sa puissance impériale, et les Etats-Unis sur leur jeunesse puisque cette démocratie n’a que 100 ans en 1876.

L’exposition internationales des Arts et Techniques de 1937

Elle affirme le triomphe des idéologies par le vis-à-vis des bâtiments nazi et communiste. 44 nations étrangères participent à l’exposition internationale des Arts et Techniques en 1937. 27 régions françaises y sont représentées et 200 architectes sont sollicités. Le Centre des métiers présente tous les plus beaux métiers de France : céramique, verrerie, production de Sèvres et des Gobelins, architecture privée... font l’objet de pavillons différents. Le Centre régional récapitule les traditions des différentes provinces françaises. Les pavillons ne sont pas construits avec les matériaux d’origine mais ils regorgent d’objets spécifiques et de bibliothèques spécialisées. Le Centre de la France d’outre-mer s’étend sur 800 mètres et des ports exotiques sont reconstitués. Comme il ne s’agit pas de reproduire l’exposition coloniale de 1931, le thème choisi est celui de l’artisanat dans la vie locale des colonies. Les sections étrangères proposent inévitablement des idéologies ciblées : ainsi l’Allemagne présente-t-elle les réalisations hitlériennes et les Etats Pontificaux l’art religieux sous toutes ses formes. La condition féminine est tour à tour traitée par le Pavillon de la parure et de la mode, celui de l’allaitement ou l’établissement d’un centre d’accueil destiné à répondre aux questions sociales. Un Palais de la découverte est inauguré : la France présente la machine électrostatique et l’Allemagne son homme de verre qui dévoile la physiologie de façon toute nouvelle. Les prodiges de la radio et de la télévision sont largement montrés. Deux musées d’art moderne sont créés de façon durable quai de Tokyo : l’un présente une rétrospective de la Gaule à Cézanne, l’autre une histoire des musées. Le spectacle y tient une part importante, notamment par ses fééries nocturnes (illuminations intérieures de la Tour Eiffel). La Seine est transformée en théâtre d’eau avec des animations musicales : 18 spectacles dédiés à la Nation, aux colonies... sont organisés sur des musique de Honegger, Darius Milhaud, Olivier Messiaen...

Expositions et colonialisme

Présent dès les premières expositions universelles, l’espace réservé au colonialisme s’accroît considérablement en 1889 : palais central, 8 pavillons (cambodgien, algérien, tunisien...), 3 pagodes indochinoises, 3000 exposants coloniaux. Cette situation s’explique par la politique internationale de la fin du XIXe siècle : la France s’installe durablement à Madagascar, en Annam, en Tunisie, tandis que l’Allemagne et l’Italie manifestent des ambitions analogues.

L’opinion publique se méfiant de l’aventure coloniale, le folklore local est abondamment utilisé afin d’attirer la foule : le clou étant la Rue du Caire, située le long de l’avenue de Suffren. Sur 1000 m2 carrés, 25 habitations égyptiennes et une mosquée sont reconstituées. 225 authentiques indigènes animent la fausse rue cairote, mêlant réalisme et illusionnisme. De même, aux Invalides, 300 indigènes importés d’Afrique et d’Asie peuplent des villages bâtis à l’identique.

1900 : la participation coloniale s’accroît encore, sur l’emplacement du Trocadéro. Les possessions de l’Empire russe sont les plus représentées. L’implication politique et économique de la France dans le colonialisme justifie la réalisation de deux expositions exclusivement consacrées à ce sujet : celle tenue en 1907 dans le jardin colonial de Nogent, celle de 1931 réalisée dans le bois de Vincennes.

La colonisation se justifie par une mission civilisatrice, un intérêt économique - et une curieuse façon de considérer l’autre. Civiliser : la meilleure définition est formulée en 1931, où on oppose la colonisation aux invasions barbares puisque le but est d’aider, d’instruire, de pacifier. La civilisation européenne tirera toute peuplade de sa sauvagerie première, inculquant la morale, base de toute société, montrant le chemin du bien, libérant de l’esclavage. Intérêt économique : le pays colonisateur exporte des produits et importe des richesses nécessaires à son économie. Insister sur les bénéfices rapportés par ces transactions sensibilise le citoyen peu intéressé par l’aventure coloniale. Coloniser signifie donc protéger le marché français, puisque cela limite l’importation de produits étrangers. L’indigène est défini comme collaborateur dont le rôle est fondamental dans l’accroissement du capital national. 

Une vision de l’autre : la façon dont les chroniqueurs décrivent les peuples colonisés est insupportable à nos sensibilités contemporaines. Toutefois, il s’agit bien moins de racisme que de paternalisme,  toute race étant considérée comme perfectible grâce... au génie français. Et ce d’autant plus que tout peuple sera amené à accepter tôt ou tard les bienfaits de la culture occidentale.

En 1907, Jules Delsol, chroniqueur de l’exposition coloniale de Nogent, qualifie ainsi certaines peuplades : la race chinoise est mystique et cachée, l’Indochinois un petit être jaune, sans sexe, sans âge, aux regards malins, le Canaque a le défaut d’être attiré par la chair humaine, le Malgache est fourbe, cruel comme le sont tous les peuples vaincus. Quant à l’Africain pillard convaincu, sans morale et sans lois  il a été tiré de la barbarie par les hommes blancs ... De façon générale, l’Africain, l’Océanien sont considérés comme des sauvages; le Maghrébin, l’Oriental comme des déca-dents : ainsi la Tunisie qui fut un des berceaux de l’humanité n’est-elle plus que la terre d’une race éteinte et abâtardie.

L’exposition coloniale de 1931

1931 : après la 1ère guerre mondiale, hommage est rendu aux peuples colonisés qui ont payé un lourd tribut lors du conflit. Mais, en raison de la faillite financière causée par la guerre, on estime d’autant plus important d’exploiter les ressources naturelles des pays colonisés. Toutefois, un nouvel humanisme voit le jour, insistant sur l’idée d’échange, économique et intellectuel, entre vieilles nations et peuples jeunes. Ainsi, l’exposition de 1931 se veut-elle une synthèse pour proposer des solutions afin de réaliser un nouvel équilibre. 

L’étude des rapports inter-coloniaux est ébauchée. Un musée permanent des colonies est créé, qui deviendra le Musée de la France d’Outre-Mer, puis le Musée des Arts africains et océaniens. Un hall commun destiné à présenter toute la documentation relative au colonialisme et un cinéma de 2500 places sont construits. 

Parmi les reconstitutions, on retrouve des palais, des temples malgaches, indochinois, des pavillons de la Martinique, de Tahiti, du Maghreb, ainsi que des cases de l’Afrique Occidentale Française ou de l’Afrique Equatoriale Française. On peut également voir des architectures de pays sous mandat français (territoire dont l’administration est supervisée) tels le Liban ou la Syrie.

Les expositions coloniales de Nogent

Le jardin colonial de Nogent-sur-Marne est créé en 1899 afin de réaliser des expériences utiles à la production tropicale des possessions françaises. Il s’agissait de réaliser un répertoire technique et commercial des richesses de notre domaine colonial.

Une première exposition est inaugurée le 21 juin 1905 sous la présidence du général Gallieni. Elle comporte 411 exposants et se divise en 9 classes qui concernent particulièrement les produits du sol, la faune, la flore, l’horticulture.

Une seconde exposition, d’envergure bien plus considérable, inaugurée par Milliès Lacroix, ministre des colonies, se tient du 16 mai au 6 octobre 1907. Le 8 juin, le président de la République Fallières la visite. 

L’esprit de cette exposition coloniale relève du même principe que les expositions universelles, puisqu’il prétend englober toutes les branches relatives à la colonisation selon une classification tout aussi rigoureuse : les subdivisions concernent aussi bien l’industrie que la gestion administrative  ou l’ethnographie. Tout le potentiel d’une colonie est, sinon montré, du moins évoqué.

Cases, pagodes, campements, pavillons - certains provenant des expositions de 1900 ou de 1906 (réalisée à Marseille) - sont reconstitués. Un bâtiment principal concernant l’ensemble de l’activité coloniale, y compris la faune et les objets domestiques, est édifié. On peut également admirer des sites consacrés aux beaux-arts, aux industries horticoles...

Mais, comme pour les expositions universelles, le piquant de l’affaire réside dans le spectacle vivant qu’offre le jardin colonial. Le Parisien souvent indifférent aux subtiles dissections encyclopédiques peut contempler les «sauvages» en pleine activité dans leurs villages ou les rizières. Quant aux facéties des 10 éléphants de l’Inde française, et aux combats de terribles touaregs juchés sur leurs chameaux, ils font la joie des journalistes émoustillés.