Mémoires d'italiens

15 novembre 1995 - 15 février 1996

Les origines

La Révolution industrielle du milieu du XIXème siècle représente une rupture dans l’histoire de l’immigration française. En effet, jusqu’alors, l’immigration en France était faite de migrations ancestrales de faible ampleur de gens du voyage. La Révolution industrielle provoque l’apparition de migrations économiques beaucoup plus amples que les précédentes et concernant essentiellement deux pays frontaliers de la France : la Belgique et l’Italie.

Au XIXème siècle, les Italiens s’installèrent entre autres dans l’est de Paris, près de la gare de Lyon ou dans le faubourg Saint-Antoine. Dès que la ligne de la Bastille fut achevée en 1859, ils essaimèrent alors à Nogent-sur-Marne, où ils étaient assurés de trouver du travail dans la reconstruction du viaduc, l’édification de pavillons, ou l’aménagement du Bois de Vincennes...

Les Italiens de Nogent venaient principalement, mais pas seulement, des montagnes du Val Ceno et du Val Nure et plus particulièrement de la commune de Ferrière . D’autres proviennent de la Province de Novare et du Sud-Tyrol. Les Italiens du Val Ceno et du Val Nure durent quitter leur campagne en crise du fait d’une trop forte pression démographique et d’une crise de l’artisanat.

La première trace que nous avons d’eux à Nogent-sur-Marne est de 1861 : 3 patronymes italiens apparaissent sur le registre de recensement de la ville. Leur nombre s’accroît rapidement puisqu’ils deviennent 67 en 1866 et 113 en 1872.

La Ritalie nogentaise

Dès leur arrivée à Nogent-sur-Marne, les migrants italiens se concentrèrent dans le coeur historique de la ville et plus particulièrement dans les rues, voies et impasses qui bordent la Grande-Rue. L’impasse Nugues et l’impasse des pains furent les premières à être habitées, puis ce fut les rues Pasteur et Sainte-Anne. Quelques Italo-Nogentais, en revanche, habitèrent, eux, à l’écart, près du Boulevard de Strasbourg.

Même si le coeur de Nogent est resté le pôle de résidence majeur des Italo-Nogentais, d’autres pôles d’habitat apparurent dans l’entre-deux-guerres : au nord, entre le Fort et le Boulevard de Strasbourg, au sud, dans l’avenue du Val de Beauté et aux abords de la zone industrielle.

Dans le centre ville, il existait des institutions unificatrices de la communauté italienne, devenues des lieux de mémoire : le Petit Cavanna, rue Sainte-Anne, le Grand Cavanna, impasse Nugues. Ce dernier était un bal,un hôtel, un lieu de fête et le lieu d’accueil par excellence pour les nouveaux migrants.

Le travail : le principal facteur d’intégration

Le travail fut la première forme d’intégration des Italiens. A l’origine, les migrants italiens occupaient principalement des emplois dans les métiers du bâtiment. Avant la première guerre mondiale, 70% d’entre eux avaient un emploi dans ce secteur. Dans la mesure où ils venaient principalement du monde rural, ils n’étaient pas préparés à ce type de métiers, aussi l’apprirent-il des Français (souvent des Creusois). Mais, rapidement, les élèves dépassèrent les maîtres, ils dominèrent si bien les techniques de construction qu’ils finirent par exceller dans le bâtiment. Dès la fin du XIXème siècle, et le début du XXème naquirent même les premières entreprises italo-nogentaises, telles que Cavanna-Taravella ou Imbuti. Ils exécutèrent des travaux de réparations et réalisèrent des immeubles de rapport.

Toutefois, tous ne travaillaient pas dans le bâtiment : certains étaient logeurs, d’autres cordonniers, d’autres encore chauffeurs. Les femmes, quant à elles, faisaient des ménages, étaient blanchisseuses ou travaillaient comme plumassières dans l’entreprise Duflot. Après la première guerre mondiale, elles ouvrirent même des boutiques, telles que celles de liqueurs et de produits italiens ou la crémerie Ricci....

Au début des années 30 l’activité des Italo-Nogentais se modifia puisque la moitié des actifs migrants exercèrent désormais un métier dans un secteur autre que celui du bâtiment.

Les autres formes d’intégration

L’école constitue l’une des principales formes d’intégration des jeunes Italo-Nogentais, grâce à laquelle ils purent dominer le français que leurs parents ne connaissaient parfois pas.

L’Eglise eut aussi, dans une certaine mesure ce rôle intégrateur. Les Italo-Nogentais, qui étaient originaires du Val Ceno et du Val Nure, où la pratique religieuse était forte, fréquentaient assidument l’église Saint-Saturnin. Toutefois, les Italo-Nogentais avaient aussi leur pratique religieuse propre. Ainsi, ils se réunissaient avec les autres Italiens de l’est parisien à Clichy-sous-Bois pour un pélerinage exclusivement italien.

L’engagement et le sang versé lors des conflits mondiaux pouvaient être aussi le prix à payer pour être adopté par la France. Le cas de Jacques Capello, même s’il est atypique, est tout de même révélateur de ce phénomène : Jacques Capello, las d’être traité de sale macaroni, et désirant être accepté par la France s’engage dès août 1914 aux côtés des Français dans la Grande Guerre. Même si son initiative fut en partie contrariée, c’est grâce à elle qu’il obtint sa naturalisation.

A l’inverse, toujours par souci d’intégration, les Italo-Nogentais, à quelques exceptions près, dont Louis Ricci, renoncèrent à tout engagement politique. Enfin, les loisirs, parce qu’ils étaient généralement identiques à ceux des Français, pouvaient constituer une forme d’intégration.

Globalement, malgré certains heurts, celle-ci se réalisa assez bien et souvent mieux qu’ailleurs.


D'après Le Nogent des Italiens de Pierre Milza et Marie-Claude Blanc-Chaléard - 1995